samedi 5 mai 2012




A l’intérieur, ça grouillait de monde. Les voraces avaient pris possession de l’espace.

Des jappements inaudibles se superposaient les uns aux autres, ils étaient là pour prouver qui ils étaient. Visages à face bridée, revenus à leur stade primitif.

Dans le petit magasin entassant objets en cuir de toute sorte, ils se battaient comme si leur vie dépendait du moindre petit article. Des produits finement travaillés, cousus à la main dans l’un des plus grand ateliers du monde dont le prestige n’était plus à démontrer. Eux étaient là pour rafler tout de cela.

Ils se jetaient sur le premier article qu’ils trouvaient, le flanquaient sous leur bras et se rendaient directement à la caisse, déballant sous le nez des vendeurs leurs porte-monnaie jaillissant de billets de banque. Ou bien pire encore, ils demandaient conseil à une vendeuse à qui on n’avait pas enseigné l’une des trois langues la plus parlée du monde. Ils gesticulaient avec leurs petit bras, et ça faisait des bruits de tissu imperméable froissé, de sac à dos secoué dans tous les sens. En face d’eux, la locutrice essaie désespérément de se faire comprendre par des gestes mesurés, et de répondre au mieux à ces couinements inadéquats qui fendent l’air.

L’un des vendeurs observe la scène, les bras croisés dans le dos. Ses lèvres s’entrouvrent et c’est un sifflement à peine inaudible qui s’en échappe.
« - Ils sont mal éduqués. »
Il pense que personne ne l’a entendu, il a certainement dit ça seulement dans le but de se décharger un peu de cette tension qui se répète tous les jours.

Je sais ce qu’il pense, il doit se dire qu’avant c’était un privilège de venir ici. Même les gens les plus modestes pouvaient économiser toute l’année, puis un jour par an venir s’offrir un objet qui, dans leur garde robe, prendrait une place toute particulière, une place d’honneur à leurs yeux. Et lorsqu’ils le sortiraient, à chaque fois renaîtrait l’émotion ressentie ce jour là, leur regard se mettrait à briller.
Mais voilà que ces produits, on les brade aux premiers venus, qui les entasseront dans leurs armoires et les exhiberont de temps à autres pour le prestige d’une marque qui ne voudra bientôt plus rien dire.

Une d’entre elle tend un appareil photo à la vendeuse lessivée, elle veut lui faire comprendre qu’elle désire se voir en photo pour se rendre compte si ce sac à main lui va bien. La pauvre jeune femme contemple le large ciré vert et bleu de sa cliente avec des yeux exorbités, mais s’exécute. Poliment.


Ils sont là, en nouveaux conquérants, ils pullulent.

Ils sont là.